Une conversation avec Reuben Reouhidi Ndjerareou sur la perspective africaine globale

Nous assistons à une montée d’un mouvement visant à remodeler le narratif africain par les africains. Dans cet article, j’ai une conversation avec Reuben R. Ndjerareou, qui, faisant partie de ce mouvement, parle et écrit sur le continent en offrant une perspective ancrée dans la culture, les réalités et l’histoire. Nous parlons de son parcours international, de sa série de podcasts Speak African ainsi que de son travail avec  African Think Tank, une organisation basée aux États-Unis qui travaille avec la diaspora africaine.

  1. Parlez-nous de votre parcours et de ce que vous faites actuellement.

Je m’appelle Reuben Reouhidi Ndjerareou. Je suis né au Tchad, en Afrique centrale. À l’âge de 2 ans, j’ai quitté le pays lorsque la guerre civile a éclaté, pour le Burkina Faso, puis j’ai déménagé aux États-Unis à 4 ans avec mes parents qui y allaient pour poursuivre leurs études. J’ai effectué ma scolarité entre les États-Unis et le Tchad, allant du collège jusqu’au lycée. Je suis titulaire d’une licence en science politique ainsi que d’un master en ministères d’éducation chrétienne obtenu dans un séminaire.

Sur le plan professionnel, j’ai d’abord travaillé aux États-Unis dans l’éducation et le mentorat, auprès de jeunes et de personnes incarcérées. Par la suite, je suis retourné au Tchad, où j’ai travaillé dans l’industrie pétrolière, puis comme directeur d’une école internationale. J’ai également occupé un poste de chef d’équipe en Zambie pour un projet éducatif intégré au secteur agricole.

Aujourd’hui, je vis à Dallas, au Texas, où j’enseigne dans des collèges de quatre districts scolaires. En parallèle, je dirige et participe à plusieurs initiatives liées à la culture africaine et à l’entrepreneuriat. L’une de ces initiatives est Speak African, une série web et un podcast que j’ai créé.

2. Qu’est-ce qui a inspiré la création de la série Speak African ?

Quand j’enseigne dans des écoles à Dallas, je porte souvent des vêtements africains comme la djalabia, une tenue traditionnelle tchadienne, et je me présente à mes élèves avec mon nom tchadien complet. Cela crée souvent des conversations, car les élèves posent des questions sur mes vêtements ainsi que sur l’orthographe et la prononciation de mon nom. Un jour, au milieu de ces conversations, un élève m’a demandé si je parlais l’africain. J’ai expliqué qu’il n’existait pas de langue appelée africain mais qu’il y avait des milliers de langues sur le continent africain. Mais cette question m’a amené à prendre du recul et à réfléchir. J’ai réalisé que je parle effectivement l’africain, c’est-à-dire que je comprends la culture, la société, la beauté et les défis. Cela m’a conduit à l’idée de créer du contenu médiatique pour parler de ces aspects de l’Afrique et raconter des histoires à leur sujet. Aujourd’hui, je partage ce contenu sur mes plateformes sociales et j’invite souvent des invités à partager eux aussi leurs histoires et perspectives sur le continent. J’utilise également ce contenu pour rendre l’Afrique plus visible auprès des publics et parler de ses attributs culturels et de sa contribution au monde. En Afrique, nous sommes une communauté fondée sur la culture. Nous donnons de l’importance à l’hospitalité, au respect des aînés et à la vie communautaire, entre autres, et partager des histoires autour de ces caractéristiques à travers notre propre expérience est essentiel pour que le monde les voie et les comprenne.

3. Que pensez-vous de la place et de l’image de l’Afrique dans le monde ?

En Afrique, on trouve la bonté de la nature humaine à travers l’hospitalité. Quand on raconte des histoires africaines, il est important de mettre en avant ses réussites ainsi que les défis du continent. Pendant longtemps, les médias occidentaux ont raconté les histoires africaines depuis leur point de vue en essayant d’appliquer leurs normes à notre réalité. Aujourd’hui, les Africains doivent raconter leur histoire à travers leur propre prisme. Je crois que lorsque nous racontons notre histoire, nous devons donner les deux côtés. Parler du progrès, du potentiel et de la croissance du continent doit aussi inclure les difficultés, la guerre et la corruption qui causent du tort, ainsi que les solutions nécessaires. L’essentiel est que nous le racontions selon la perspective africaine.
Nous avons également la responsabilité de parler des conséquences non prises en compte de pratiques telles que l’adoption de normes occidentales dans nos pays qui finissent par nuire à certaines populations. Par exemple, nous avons encore des organisations internationales du monde occidental qui s’occupent de nos populations locales. Cela mène à la question : que faisons-nous pour nos propres pays et communautés ? Il doit y avoir un réveil qui nous pousse à investir dans nos populations au travers d’organisations créées localement selon l’approche Made in Africa for Africa. De plus, si nous voulons comparer notre contexte à celui du monde occidental, nous devons le mesurer selon notre perspective et nos normes. Nous avons beaucoup à offrir au monde et il est temps que les Africains s’assurent d’avoir une place à la table mondiale tout en construisant leurs propres tables.

4. Parlez-nous davantage du African Think Tank

L’initiative African Think Tank, créé en 2023, est axée sur la communauté qui crée des plateformes permettant aux Africains de collaborer et de créer des réseaux, et je sers en tant que Directeur régional pour la zone de Dallas au Texas. L’initiative rassemble des Africains et d’autres personnes à travers des événements mensuels organisés dans des grandes villes américaines. Il s’agit d’événements allant de conférences à des expositions. Des entrepreneurs, investisseurs et particuliers se réunissent pour présenter leurs produits, services et biens. Les individus ont également la possibilité d’utiliser cette plateforme pour proposer des idées en vue de partenariats et de financements. Lors de ces événements, Africains et autres nationalités ont l’occasion d’apprendre les uns des autres et du continent. Par exemple, durant le Mois de l’Histoire des Noirs en février, des invités de la communauté afro-américaine ont partagé des histoires sur leur expérience aux États-Unis et ont appris davantage sur l’Afrique, renforçant ainsi les liens entre les deux communautés.

L’un des objectifs de l’organisation est également d’encourager la création d’initiatives et d’idées commerciales. Lors des événements avec groupes de réflexion, les participants étaient répartis par thèmes et chaque groupe a continué à collaborer au-delà de l’événement pour créer un résultat tangible pouvant bénéficier aux participants et à d’autres Africains dans leur région.
À mesure que le mouvement grandit, l’organisation cherche à s’étendre dans la sphère politique en travaillant avec d’autres institutions susceptibles de consulter African Think Tank sur des questions liées aux expériences africaines, au rôle du continent sur la scène mondiale ou aux opportunités disponibles en Afrique.

5. Que devons-nous attendre de vous prochainement?

Je prévois de développer la série Speak African et d’atteindre plus de publics à l’échelle mondiale. Je vise à poursuivre la mission de mettre en lumière le rôle positif de l’Afrique dans le monde. Ce faisant, j’ai également l’opportunité de développer les initiatives que j’ai lancées au Tchad et en Zambie pour offrir des opportunités éducatives aux communautés locales.

À travers mon travail jusqu’à présent, j’ai constaté qu’il existe une dynamique de pouvoir inégale dans le secteur du développement car les Africains sont souvent désavantagés. Les Africains se retrouvent dans la posture où ils ont peur de dire leur vérité et parler de leur perspective parce que les ressources viennent de l’Occident. Mon objectif est d’aborder ce problème en offrant un renforcement des capacités pour accroître le leadership en Afrique et donner aux gens les outils pour s’exprimer sans crainte. Nous devons briser cette barrière de la peur et pousser nos voix africaines à défendre nos droits pour demander ce que nous méritons. Nous devons également autonomiser les communautés locales et leur donner une voix pour exprimer leurs besoins.
L’un de mes leaders préférés est Steve Biko d’Afrique du Sud et ses propos m’interpellent. Il dit : « Il devient plus nécessaire de voir la vérité telle qu’elle est si vous réalisez que le seul véhicule de changement est ces personnes qui ont perdu leur personnalité. La première étape est donc de ramener l’homme noir à lui-même ; de redonner vie à sa coquille vide ; de l’imprégner de fierté et de dignité, de lui rappeler sa complicité dans le crime qui consiste à se laisser utiliser et donc à laisser le mal régner en maître dans le pays de sa naissance.» Je crois que le message de Biko résonne encore aujourd’hui. Retrouver fierté et dignité en tant qu’Africains tout en reconnaissant nos défis est essentiel pour notre renaissance. Dans ce sens, je fais ma part pour concrétiser ce message.

Vous pouvez suivre le travail de Reouhidi Reuben Ndjerareou sur Facebook et LinkedIn.

Deborah Melom Ndjerareou

One thought on “Une conversation avec Reuben Reouhidi Ndjerareou sur la perspective africaine globale

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  1. Très intéressant.
    La plateforme de Reuben est un véritable Espace pour faire résonner l’Afrique au-delà des frontières. Et en même temps, permettre aux Africains de prendre conscience des influences externes dans leur propre milieu. Je reste optimiste qu’avec le temps, la plateforme aura atteint l’éveil africain

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