L’Alliance des États du Sahel étend-elle son influence sur la région du Sahel ?

Dans un geste attendu, la République du Tchad a annoncé la fin de sa coopération en matière de défense avec la France le 28 novembre cette année. L’annonce a été faite juste après la visite du ministre français dans la capitale tchadienne N’djamena. L’un des sujets abordés lors de la visite était Haskanite, une opération lancée récemment contre le groupe extrémiste Boko Haram dirigé par le président tchadien Mahamat Idriss Deby Into et la nécessité de renforcer les relations entre les deux pays. Le lendemain, la République du Sénégal a annoncé qu’elle était également fin sa coopération de défense avec la France et visait à fermer toutes les bases militaires françaises dans le pays. Depuis son arrivée au pouvoir en mars 2024, le président Bassirou Diomaye Faye a réitéré la nécessité de revoir les relations avec la France et d’en créer une nouvelle basée sur le respect mutuel.


Il est notable que dans la même semaine, deux États sahéliens ont rompu leurs liens militaires avec leur ancien colonisateur, présent depuis plus de 60 ans. Ces décisions, dans l’analyse géopolitique, étaient anticipées suite à une vague de détachement de la France en Afrique francophone. Le Niger, le Mali et le Burkina Faso sont trois États sahéliens qui ont récemment officiellement rompu leurs liens militaires avec leur ancien colonisateur, qui y était présent les années d’indépendance. Les Niger a coupé les ponts avec son ancien colonisateur en demandant le départ des troupes françaises de leur territoire, ce qui a entraîné une dégradation générale des relations diplomatiques avec ces pays. Au Niger, les relations tendues avec la France sont allées jusqu’au départ de l’ambassadeur de France et à l’interdiction d’entrée de tous les citoyens français.


Le trio (Niger, Mali, Burkina Faso) a créé l’Alliance des États du Sahel (AES) en juillet 2024, un bloc régional visant à renforcer l’intégration nationale et à s’éloigner des relations avec la France. L’alliance a quitté la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) affirmant que ce dernier est soutenu par la France et déstabilise la région. De plus, le bloc a créé des mécanismes intégrés de communication et d’immigration et est en train de créer son passeport. Les décisions du Tchad et du Sénégal de rompre leurs relations militaires ont laissé penser que leurs relations diplomatiques avec la France pourraient également être tendues.


Lorsque la France s’est retirée des pays de l’AES, le Tchad est devenu leur dernier bastion en Afrique centrale. Le maintien de leur présence au Tchad était une tentative de rester dans les régions de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale, affirmant ainsi leur domination. Paris a exprimé son étonnement face à la position du Tchad, surtout après la visite d’un haut responsable. Du côté tchadien, le président a déclaré que le Tchad avait mûri et que l’accord de défense ne servait plus son but dans les conditions actuelles. Au Sénégal, lors d’une interview télévisée, le président Bassirou Diomaye Faye a déclaré qu’il était temps d’établir un partenariat plus égalitaire avec la France, tout en soulignant que le Sénégal était une nation souveraine qui n’avait pas besoin de troupes étrangères sur son territoire.


La question de la souveraineté nationale est au premier plan des raisons qui ont conduit aux changements diplomatiques avec les nations d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. En tant qu’ancien colonisateur, la France a conservé une emprise paternaliste sur ses anciennes colonies, considérant ces pays comme des précarrés. Le maintien de troupes et de bases militaires françaises au Sahel n’était pas conforme à la souveraineté recherchée par les États sahéliens. La France affirmait être présent dans le Sahel pour soutenir les gouvernements nationaux dans la lutte contre le djihadisme. L’absence de résultats dans cette lutte était l’une des raisons pour lesquelles l’AES a déclaré que la France n’avait aucune raison de rester sur leurs territoires.


Le changement politique et diplomatique s’inscrit dans la continuité de l’ascension d’une nouvelle génération de dirigeants dans la plupart des pays du Sahel. Au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Tchad et au Sénégal, tous les dirigeants actuels ont une vision de partenariats renouvelés. Lorsque l’AES a été créée et a pris des mesures pour affirmer sa position vis-à-vis de la France, la question s’est posée de savoir si d’autres pays de la région allaient se joindre à la nouvelle alliance.


Les membres de l’AES et les autres pays du Sahel sont confrontés aux mêmes problèmes récurrents tels que l’instabilité politique, le chômage des jeunes et les effets du changement climatique. Lorsque l’AES s’est séparée de la CEDEAO, les autres pays du Sahel les ont observés de près. Si la nouvelle alliance est capable de s’attaquer à ces problèmes et de mieux subvenir aux besoins de sa population, elle pourrait conduire les autres pays à l’idéologie de la souveraineté sans ingérence extérieure.


L’AES a réussi à gagner le soutien de sa population et a des partisans dans d’autres pays de la région. Sa position sur la rupture de tous les liens coloniaux avec la France trouve un écho dans d’autres pays de la région dont la jeunesse est également en quête de changement par rapport aux relations traditionnellement paternalistes. Au cours des cinq dernières années, des manifestations anti-français ont éclaté dans tous les pays mentionnés, et l’éviction de la France du territoire de l’AES est le résultat physique de ces manifestations. L’AES, qu’elle réussisse ou non, pourrait avoir le potentiel d’étendre son influence à d’autres pays du Sahel. Si le nouveau bloc produit des résultats positifs dans sa lutte contre le djihadisme sans le soutien de troupes étrangères comme la France, il pourrait pousser d’autres pays au-delà du Tchad et du Sénégal à suivre également leur exemple. La situation géographique du Sahel sur le continent est politiquement stratégique et bénéfique pour divers acteurs internationaux. Par conséquent, les réformes et les changements de leadership dans la région ont des implications pour le monde entier.
L’agitation qui a pris d’assaut la région du Sahel rappelle le Printemps arabe qui a eu lieu au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Au Sahel, une nouvelle génération de la population et des dirigeants cherche à s’éloigner du partenariat franco-africain traditionnel et à redéfinir des partenariats tout aussi bénéfiques. L’AES s’impose comme la manifestation de ce désir qui pourrait conduire à rejoindre l’alliance, la rendant plus forte et plus influente. L’AES a fondé sa création sur le principe de la souveraineté nationale. C’est la même idéologie de la souveraineté qui a conduit le Tchad et le Sénégal à mettre fin à leur coopération militaire avec la France. Par conséquent, l’alliance pourrait être le début d’une voie menant à des relations renouvelées où le Sahel ne serait pas considéré comme un interlocuteur inférieur.

Deborah Melom Ndjerareou

Leave a comment

Create a website or blog at WordPress.com

Up ↑