Une Tchadienne en Palestine

A la rencontre de l’humanité en Cisjordanie

En 2018, j’étais assise dans mon appartement à Amman en Jordanie lorsque j’ai reçu un courriel avec une offre d’emploi pour un poste auquel j’avais passé un entretien des semaines auparavant. Je ne savais pas à quoi m’attendre, je connaissais peu les Territoires Palestiniens en dehors de ce que montraient les médias. Malgré cela, j’étais enthousiaste à l’idée de partir. J’ai appelé mon père pour lui parler de l’offre et il n’a même pas hésité, affirmant que c’était une bonne idée. J’étais convaincue et j’ai commencé à préparer mon départ pour Naplouse en Cisjordanie.

Plus jeune, ce que je connaissais des Territoires Palestiniens se limitait à des images de jeunes hommes jetant des pierres dans les rues. Je ne comprenais évidemment rien à l’époque. Plus tard, à l’université, j’ai commencé à regarder des documentaires sur les territoires et le conflit en cours. Beaucoup m’ont fait pleurer et m’ont laissée avec des questions sans réponses. À travers ces documentaires, j’ai aussi découvert la douleur, l’humanité, la beauté et l’espoir. Je me souviens d’un extrait dans lequel des étudiants de l’Université nationale An Najah étaient interviewés. Ils rayonnaient d’espoir et de positivité. Ce moment m’a offert un autre regard sur les territoires. Les médias internationaux montraient davantage la destruction et An Najah projetait une perspective différente.

À part quelques recherches limitées sur ce à quoi ressemblait Naplouse, j’étais simplement prête à voir par moi-même et donc j’ai fait confiance à ce que l’univers me réservait. Arrivée dans les territoires Palestiniens m’a semblé naturel. Une belle conversation avec le chauffeur de taxi qui était venu me chercher à l’aéroport a rendu le trajet encore plus agréable. Nous avons roulé pendant des heures pour atteindre Naplouse.

Je travaillais pour une organisation dans le domaine de l’éducation. Les deux premiers mois ont été consacrés à mieux connaître l’équipe et à apprivoiser la vie à Naplouse. Aller faire les courses, visiter des sites, avancer dans mes tâches professionnelles. Le processus de découverte s’est rempli de compréhension plus profonde de la situation, du coût humain et de l’humanité qui permet aux gens de continuer à vivre et à espérer. J’ai aussi visité d’autres villes de Cisjordanie comme Ramallah, Bethléem et Jéricho. Interagir avec les Palestiniens m’a permis d’obtenir des réponses à certaines questions tout en en laissant beaucoup d’autres ouvertes quant à ce que l’avenir pourrait réserver.

La connexion humaine. Je crois que ce qui nous rend profondément humains, ce sont nos relations et nos liens avec les autres. J’ai toujours pensé que la meilleure partie de mes voyages à travers le monde, ce sont les personnes que je rencontre et les amitiés que je noue. Vivre dans les Territoires Palestiniens a été marqué par la beauté des rencontres, des collègues avec qui j’ai travaillé et des personnes avec qui je partageais la maison d’hôtes. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai gardé des amis très chers de cette expérience.

Souk : J’allais au souk chaque semaine pour faire mes courses ou tout simplement observer les gens. La variété de produits frais, d’épices, de savons artisanaux à base d’huile d’olive, de vêtements et de créations colorées était toujours un vrai plaisir visuel. J’y ai découvert le Zaatar, un mélange de sumac, graines de sésame et autres épices, mangé avec du pain. Il y avait aussi le Knafeh, un dessert au fromage et au sirop absolument incontournable après les courses. La plupart des visites au marché incluaient une halte dans les boutiques de parfums. J’adorais découvrir des centaines d’huiles et fragrances naturelles et discuter avec les vendeurs. Le marché est l’endroit où l’on perçoit l’essence d’une communauté. L’énergie vibrante crée une fenêtre de calme subtil. À ce moment-là, pendant quelques heures, il ne s’agit que des tâches quotidiennes, des achats, de manger, de parler. Il ne s’agit que d’être humain.

Autour de la table : La nourriture, élément essentiel dans les cultures du monde, a le pouvoir de rassembler. J’ai passé de nombreuses soirées autour d’une table de cuisine à dîner avec des collègues venus de divers horizons. Nous plongions dans nos expériences et la manière dont elles façonnaient notre vision des Territoires Palestiniens. Nous partagions aussi des repas au travail ou à l’extérieur avec nos collègues palestiniens, échangeant des histoires et des perspectives. Lorsque je parlais des pays africains où j’avais vécu, de notre culture, de nos normes et de notre façon de vivre, nous trouvions des points communs. Ces similitudes créaient un lien de compréhension mutuelle. Un soir, chez un collègue, nous avons mangé de la Molokiah, un plat fait de feuilles de corète, servi avec du riz ou du pain. Ce moment simple a eu une forte résonance car la Molokiah, cuisinée différemment, est aussi un plat essentiel au Tchad et dans d’autres pays africains. Je n’aurais jamais imaginé trouver ce plat si loin de chez moi. J’ai goûté des plats authentiques comme le Makhlubeh et je l’ai préparé pour ma famille lorsque je suis rentrée en congé. La nourriture lançait les conversations, ouvrait nos vulnérabilités et nous permettait de partager nos rêves pour l’avenir.

Yara pleine de vie : Elle devait avoir sept ans. Elle posait son pied sur ma chaussure en riant. Elle courait, revenait, recommençait et riait encore. Elle débordait d’énergie et son sourire contagieux me faisait rire aussi. Nous avons joué ainsi dans un grand couloir pendant quelques minutes. J’ai vu Yara plusieurs fois par semaine pendant des mois. Dans mon esprit, je l’avais surnommée Yara pleine de vie. Elle grandissait dans la difficulté, mais son esprit d’enfant empli de joie était inspirant. Elle me rappelait les enfants avec qui j’avais travaillé dans des pays africains, dont le sourire reste la partie la plus marquante de mon travail de terrain. À mes yeux, Yara était un symbole d’espoir. Elle représentait chaque enfant dont l’avenir mérite d’être protégé. Les enfants ne choisissent pas où ils naissent, mais leur âme innocente fait avec ce que la vie leur offre.

La douleur de l’humanité.

Conflit : Ma première rencontre réelle avec un conflit a eu lieu en République centrafricaine, que je détaille dans un autre texte. Plus tard, durant mes études universitaires, j’ai travaillé sur la littérature post génocide avec le cas du Rwanda. À cette époque, j’ai suivi l’effondrement de la Libye et le début du conflit en Syrie. Mon premier poste de terrain était dans un camp de réfugiés soudanais dans l’Est du Tchad. Ensuite, je suis partie en Jordanie pour travailler dans un camp de réfugiés syriens. Après les Territoires palestiniens, j’ai travaillé au Somaliland, en République démocratique du Congo et au Niger. À travers ces expériences, j’ai vu les effets des conflits, mais j’ai aussi été témoin de belles histoires humaines dans des zones touchées ou après les crises.

Résilience : Passer des mois auprès de communautés vivant dans des contextes de conflit apporte de nombreuses leçons. Ce sont les personnes qui ne sont pas impliquées dans les désaccords des dirigeants qui ressentent le plus lourd impact du conflit. Observer les effets du conflit et son poids sur la vie humaine et sur l’esprit réveille un sentiment de compassion. Un sentiment qui semble parfois être le maximum que l’on puisse offrir. Même si nous ne vivons pas ce que vivent les populations affectées, nous ne pouvons pas marcher dans leurs pas. Alors quand la simple observation nous rend tristes, nous fait pleurer ou nous bouleverse, peut-on imaginer ce que ressentent ceux qui vivent ce conflit au quotidien.

Observer la résilience quotidienne des humains dans certaines conditions peut profondément transformer notre regard sur la vie et sur le monde. J’ai vu la difficulté sur les visages dans les Territoires palestiniens, en République démocratique du Congo, au Tchad, au Niger, au Somaliland et dans bien d’autres endroits. Ces mêmes visages montraient aussi leur capacité à trouver de la joie dans les réalités du quotidien. L’inspiration tirée de cela est indescriptible.

J’y étais donc je peux raconter : Voyager dans le monde pour le travail ou le loisir offre un ensemble d’observations et de souvenirs qui deviennent la base de récits. Ces récits méritent d’être écrits, racontés et partagés. La meilleure chose que nous puissions faire est de dire ce que nous avons vu et d’exprimer ce que cela nous a fait ressentir. Cela constitue une contribution à la mémoire collective et une référence pour les générations futures.

Deborah Melom Ndjerareou

One thought on “Une Tchadienne en Palestine

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  1. Waouh !! Quelle belle expérience et découverte , ça fait du bien d’aller à la rencontre d’autres cultures et voir comment le monde fonctionne. J’espère qu’un jour je ferai le tour du monde et je serai témoin des belles histoires humaines comme vous ! Félicitations Madame Deborah , vous êtes vraiment inspirante !!!

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