Le Togo et les Nana Benz

L’esprit de l’entrepreneuriat africain

Nation côtière d’Afrique de l’Ouest, le Togo s’impose progressivement comme un pôle de référence pour les affaires et l’entrepreneuriat dans la région. Il abrite la compagnie aérienne ASKY, qui relie 30 grandes villes à travers le continent. Créée en 2007, cette compagnie a pour ambition de multiplier les liaisons aériennes, facilitant ainsi le transport des personnes et des marchandises entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Le Togo est également le pays d’origine d’Ecobank, la banque panafricaine fondée en 1985 par la Fédération des chambres de commerce d’Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui présente dans 33 pays, la banque figure parmi les services bancaires les plus utilisés sur le continent.

L’un des spectacles les plus marquants lorsque l’on explore l’aéroport international Gnassingbé Eyadéma de Lomé est celui des tissus colorés exposés dans les étals et les boutiques. Une promenade dans le marché révèle une grande diversité de tissus, déclinés dans une multitude de couleurs.

Les tissus au Togo portent une histoire ancienne, qui remonte aux puissantes femmes africaines connues sous le nom de Nana Benz. Entre les années 1950 et 1980, le monde des affaires togolais était dominé par ces femmes et leur commerce de tissus. Elles figuraient parmi les premières grandes commerçantes de tissus en Afrique de l’Ouest, posant ainsi les bases de l’entrepreneuriat africain moderne. À cette époque, les tissus étaient principalement fabriqués dans certains pays européens, notamment aux Pays Bas. Ces femmes étaient les principales distributrices de marques comme WAX et VLISCO, qui produisaient ces étoffes.

Le nom Nana Benz provient des mots « Nana », qui signifie mère ou grand-mère, et « Benz », en référence aux voitures Mercedes Benz qu’elles conduisaient principalement. Elles ont mis en place un puissant réseau de femmes d’affaires, avec des sous réseaux s’étendant à travers l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Elles voyageaient à travers l’Europe pour gérer l’importation et l’exportation de textiles. Elles constituaient le pilier du commerce textile de cette époque et figuraient parmi les femmes millionnaires de leur génération. Elles investissaient également massivement dans l’immobilier dans plusieurs villes européennes.

La puissance de ces femmes ne résidait pas seulement dans les millions générés par la vente de tissus, mais aussi dans le niveau d’influence et de prestige dont elles jouissaient au sein de la société. À titre d’exemple, elles soutenaient des partis politiques, renforçant ainsi l’influence de leurs membres et des figures politiques dans le pays et dans la région. Les archives togolaises montrent même que certaines Nana Benz prêtaient leurs voitures à des ministres et à d’autres responsables politiques lors de visites officielles. L’histoire des Nana Benz revêt une importance majeure dans le paysage économique d’un pays en sortie de colonisation, en réaffirmant le rôle des femmes dans une nation en pleine construction de ses systèmes sociaux, commerciaux et politiques. Ces femmes ont joué un rôle déterminant dans la structuration de ces systèmes.

Dans le contexte politique de la décolonisation des années 1950, les Nana Benz ont occupé une place centrale. Leurs ressources financières ont contribué de manière significative aux efforts de décolonisation menés par les élites politiques. Grâce à leurs déplacements fréquents en Europe, elles ont également contribué à faire circuler les messages liés à la décolonisation auprès d’acteurs clés.

À partir des années 1990, le statut et les réseaux des Nana Benz ont commencé à décliner, à mesure que des concurrents, notamment en provenance de Chine, se sont mis à produire des textiles aux motifs similaires à ceux du WAX et de VLISCO, mais à des prix et une qualité nettement inférieurs. Les marchés d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale ont été inondés de ces imitations, réduisant ainsi le pouvoir commercial de ces femmes autrefois dominantes. L’essor de cette concurrence, bien que préjudiciable aux Nana Benz, a également servi de signal d’alarme, incitant les Africains à se tourner vers une production locale. Aujourd’hui, plusieurs entreprises textiles telles que Three Cats Shweshwe, Aksombo ou encore GTP produisent sur le continent pour le marché africain. Le commerce mondial du textile à imprimés africains n’est pas encore entièrement contrôlé par l’Afrique, mais des efforts sont en cours.

L’histoire des Nana Benz se poursuit aujourd’hui à travers leurs filles et petites filles, connues sous le nom de Nanettes. Elles perpétuent cette activité à travers la vente internationale de tissus, avec désormais un accent plus marqué sur les marques produites localement. L’industrie du tissu africain ne cesse d’innover et de se réinventer, avec l’apparition constante de nouveaux motifs, et l’héritage des Nana Benz du Togo continuera de traverser les générations.

Pendant des décennies, les Nana Benz ont écrit une histoire de l’entrepreneuriat, qu’elles ont littéralement tissée dans le tissu même du Togo. Cet esprit entrepreneurial demeure aujourd’hui encore bien vivant, alors que le pays continue de s’affirmer comme un carrefour de nombreuses entreprises panafricaines au service du continent. Un voyage au Togo permet de ressentir cette dynamique partout, de l’aéroport aux étals du Grand Marché, des immeubles imposants des banques aux sièges des compagnies aériennes et des institutions commerciales. Le Togo demeure une pierre angulaire de l’entreprise en Afrique et poursuit son émergence progressive sur le continent.

Photo : Archive Togolaise https://www.togoarchives.com/the-nana-benz-of-togo/

Deborah Melom Ndjerareou

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